J’ai mis à profit la trêve des confiseurs pour lire l’ouvrage de mon confrère Hervé Lehman « Justice une lenteur coupable » publié au PUF.
Cet ouvrage tente de trouver une explication aux dysfonctionnements de la justice et s’appuie sur de nombreux exemples.
Dans le premier d’entre eux, beaucoup d’investisseurs lésés se retrouveront car la victime Catherine voit son dossier miné par les interactions entre le pénal et le civil :
« Propriétaire à la mer, le rêve de beaucoup d’entre nous.
Catherine se voit proposer, en 1989, un appartement situé dans un immeuble ancien de la côte d’Azur. L’immeuble doit faire l’objet d’importants travaux de rénovation. Pour couvrir le prix d’achat de l’appartement, et des travaux, Catherine souscrit un emprunt de 240 000 F et fait un apport personnel de 35 000 F.
L’entreprise qui l’a démarchée doit s’occuper de tout : emprunt, acte d’achat chez le notaire, travaux. Quelques mois plus tard, alors qu’elle s’interroge pour savoir quand les travaux seront finis et quand elle pourra prendre possession de son appartement, Catherine apprend que l’entreprise qui l’avait démarchée a fait faillite et est en liquidation judiciaire, que les travaux n’ont pas été commencés et que la totalité de la somme correspondant à l’emprunta été versée, le jour de la vente, par le banquier à l’entreprise. L’immeuble est inhabitable, l’argent a disparu, mais Catherine doit rembourser l’emprunt.
Ce n’est pas une consolation d’apprendre qu’il y a une dizaine de personnes dans la même situation qu’elle.
En 1991, Catherine saisit la juridiction civile, le tribunal de grande instance, devant lequel elle assigne la banque, qui a accepté de verser l’intégralité des fonds avant que les travaux ne soient effectués et le notaire, qui a régularisé l’acte de vente en connaissance de la situation compromise de l’entreprise.
D’autres victimes ont choisi, elles, la voie pénale, c’est-à-dire qu’elles ont saisi le juge d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile. De son côté, la banque a, d’une part, vendu judiciairement l’appartement et, d’autre part, saisi un autre tribunal de grande instance pour obtenir le remboursement du solde de l’emprunt. Pendant quelques années, les avocats de Catherine et d’autres victimes et ceux du notaire et de l’entreprise s’échangent des conclusions.
Puis, au moment de juger l’affaire, le tribunal de grande instance constate que, puisque le juge pénal a été saisi, il est obligé d’attendre que ce dernier ait tranché l’affaire sur le plan pénal avant de l’examiner sur le plan civil. L’affaire pénale dure elle-même quelques années, et en 1996, le tribunal correctionnel déclare les dirigeants de l’entreprise coupables d’abus de biens sociaux et d’escroquerie et le notaire coupable de complicité d’escroquerie. Mais le tribunal correctionnel ne peut pas allouer de dommages et intérêts à Catherine puisqu’elle a saisi le tribunal civil qui, lui-même, comme on l’a vu, ne pouvait pas juger tant que le tribunal correctionnel n’avait pas jugé l’affaire. Les condamnés ayant fait appel, la Cour d’appel examine, en 1998, l’affaire et confirme leur condamnation. Mais le notaire forme un pourvoi en Cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel.
Entre-temps, les intérêts dus par Catherine à la banque ont continué à courir, et elle doit près de 400 000 F pour un appartement qu’elle n’a jamais eu. Vient l’année 1999 : dix ans de procédure et Catherine n’a toujours pas pu faire juger, même en première instance, sa demande d’indemnisation. La compagnie d’assurance du notaire propose alors une indemnisation partielle. Catherine n’a plus qu’une idée : sortir du labyrinthe judiciaire et en finir. Elle accepte cette proposition et signe une transaction.
L’affaire de Catherine ne sera jamais jugée, et Catherine ne sera pas propriétaire à la mer. »
Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 8 janvier 2018.
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