Cour d’appel, Toulouse, 1re chambre, 1re section, 13 Février 2024 – n° 22/04412
La Cour d’appel de Toulouse décide que le point de départ de la prescription est soit la fin de la période d’immobilisation fiscale soit la vente du bien.
« Contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, le point de départ du délai de prescription ne peut être fixé au jour de conclusion de l’acte authentique de vente. Selon l’article 2270-1 du Code civil, en sa rédaction applicable à la date de l’acte de vente, ‘les actions en responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par 10 ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation' ».
L’article 2224 du Code civil, en vigueur à compter de la loi du 17 juin 2008 ‘portant réforme de la prescription en matière civile ‘dispose désormais que «’les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’». La loi du 17 juin 2008 précitée n’a pas eu pour effet de modifier le point de départ du délai de la prescription extinctive ayant commencé à courir antérieurement à son entrée en vigueur (Civ. 3e, 16 sept. 2021, n° 20-17.625).
Le dispositif de faveur dit « de Robien » permet d’opérer une réduction d’impôt sur les revenus, calculée sur le prix d’acquisition du bien immobilier à concurrence d’un pourcentage évolutif dans le temps, au cours des neuf années suivant l’acquisition, atteignant 50% du prix d’acquisition, et sous condition de location non meublée du bien immobilier pendant cette durée.
Il en résulte que les variables fondamentales dans le cadre de ce mécanisme d’optimisation fiscale sont d’une part le prix d’acquisition du bien immobilier, qui détermine le montant de la réduction d’impôt sur le revenu, et la mise en location qui à la fois conditionne le bénéfice de la réduction d’impôt mais également complète le gain fiscal réalisé par l’acquéreur afin, notamment, de financer le remboursement du crédit immobilier souscrit pour le paiement du prix d’acquisition.
Au regard des circonstances de la cause, et compte tenu de la nature de l’opération à laquelle la société Stellium immobilier a prêté son concours, soit une opération dont l’opportunité ne s’apprécie que sur le long terme, il convient, pour fixer le point de départ de l’action en responsabilité au titre d’un manquement au devoir d’information et de conseil, de rechercher la date à laquelle M. et Mme [R] ont connu les faits leur permettant d’exercer leur action, soit la date à laquelle s’est manifesté concrètement le préjudice allégué.
Si, s’agissant de la valeur de l’immeuble acquis au terme de l’opération, le dommage lié à l’absence d’information sur la rentabilité de l’opération est né au jour de la vente, celui-ci est susceptible de n’être révélé à l’acquéreur qu’après l’expiration du délai de location continue du bien permettant le bénéfice des avantages fiscaux poursuivis par l’opération immobilière et ayant couru à compter de la date de la prise d’effet de la première location après la livraison du bien.
En l’espèce, les avantages fiscaux ont été obtenus sur le fondement de la loi de Robien, codifiée au h du 1° du I de l’article 31 du Code général des impôts, tel qu’il fut en vigueur du 31 décembre 2003 au 31 décembre 2004 en vertu de laquelle le propriétaire doit louer le logement pendant au moins neuf ans à usage d’habitation principale, avec la possibilité de prolonger le bénéfice des avantages fiscaux par périodes de trois ans et pendant une durée maximale de six ans, soit quinze ans au total.
Il ne pouvait donc être exigé des acquéreurs animés par un objectif de défiscalisation d’apprécier la rentabilité de l’opération avant le terme de la période de défiscalisation obligatoire de neuf ans, ou facultative de douze ou quinze ans à compter de la première location.
Davantage, le terme de la période de défiscalisation obligatoire ou facultative ne conduit pas nécessairement les acquéreurs à mettre en vente leur bien.
En effet, tel que cela ressort de la plaquette de présentation de la résidence produite aux débats, l’acquisition immobilière est considérée comme un placement idéal, mêlé à un objectif de défiscalisation, certes, mais constituant l’un des motifs de réalisation de l’investissement. En effet, au-delà de la recherche de bénéfices fiscaux, l’acquéreur qui opte pour un dispositif fiscal fondé sur une acquisition immobilière se constitue un patrimoine immobilier source de revenus constitués par des loyers.
Le terme du bénéfice des avantages fiscaux ne saurait donc être retenu comme le point de départ du délai de prescription, dès lors que ce n’est pas à cette date que les acquéreurs ont pu se rendre compte de l’absence de rentabilité de l’opération qu’ils allèguent.
En effet, s’agissant d’un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour les acquéreurs ne peut résulter que de faits susceptibles de leur révéler l’impossibilité d’obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat (Civ. 2, 5 octobre 2023, n°23-13.104), les juges du fond doivent donc rechercher, lorsque cela leur est demandé, si les acquéreurs n’ont pas découvert l’erreur sur le prix lors de l’estimation effectuée à leur demande (Civ. 3, 15 juin 2022, n° 21-15.726).
Dès lors que le point de départ du délai de prescription est déterminé par la connaissance qu’a la victime potentielle du dommage qu’elle subit en lien avec un fait générateur, il importe peu que cette connaissance résulte d’un fait extérieur à sa personne ou soit dû à un comportement positif de sa part, à l’instar de la réalisation de l’estimation de son bien par l’acquéreur dans le cadre d’une opération de défiscalisation ou de sa revente.
En outre, il convient de relever que le moment de la décision de revente du bien litigieux ne résulte pas de la volonté arbitraire de l’acquéreur mais d’une obligation de conservation du bien pendant une certaine durée, outre qu’il s’agissait d’une opération globale intégrant un prêt immobilier dont la durée de remboursement était initialement de 15 ans, étant précisé que le cas de figure présent concerne la relation entre un professionnel et des consommateurs.
En l’espèce la vente a été réalisée un peu moins de six ans après le terme de la période de location obligatoire, et du remboursement intégral du prêt intervenu en 2015, tel que cela ressort tant des affirmations des acquéreurs que de leur pièce 11, sans que cela ne puisse avoir d’incidence sur la détermination du point de départ du délai de prescription.
Doit, en conséquence, être retenu comme point de départ de l’action en responsabilité dirigée contre le conseiller en gestion de patrimoine, la date de la vente de leur bien faisant état d’une perte importante de valeur.
Auteur : Me Thibault du Manoir de Juaye, avocat à la Cour.
Publié par Erin B. le 13 mars 2024.
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